Porsche, entreprise magnifique, iconique et florissante. C’est vrai aujourd’hui mais cela n’a pas toujours été le cas. À la fin des années 60, la marque allemande pratique la monoculture en ne proposant qu’une seule ligne de produits à la vente : la 911, dont la gamme est articulée autour d’un moteur 6-cylindres de 2 litres, livrable selon plusieurs niveaux de puissance qui donnent autant de versions. À savoir la T de 110 ch, la L de 130 ch qui deviendra la E de 140 ch et la S de 160 ch (puis 170 ch). À côté de la 911 dont elle reprend la carrosserie mais visant une clientèle moins fortunée, Porsche a également en catalogue la 912 qui n’est autre que la même voiture mais équipée d’un 4-cylindres 1.6 de 90 ch, hérité en droite ligne de la 356.
Pour Porsche se posait alors le problème d’étoffer son offre, idéalement avec l’appui d’un partenaire industriel et financier qui interviendrait dans son programme sportif. Ce fut Volkswagen. En début d’année 1968, Heinrich Nordhoff, patron de VW, et Ferry Porsche concluent un accord au terme duquel naîtra une voiture commune, la 914. À charge de Volkswagen de fournir à Porsche la coque complète, réalisée chez Karmann pour la version 6-cylindres, la variante 4-cylindres étant l’œuvre de Volkswagen (cf. encadré).
Pas comme prévu
Mais les choses ne vont pas se dérouler exactement comme prévu, et les étoiles de quitter leur alignement. Le 12 avril 1968, Heinrich Nordhoff décède. Pour Porsche, cette disparition est un drame: non seulement elle perd un grand ami, mais surtout son principal soutien dans l’aventure 914 et aussi un important sponsor pour son programme sportif, qui était alors principalement focalisé sur la 917. Indirectement, ce décès a un impact sur le prix de vente de la 914/6 : en effet, l’accord verbal basé sur la confiance entre Heinrich Nordhoff et Ferry Porsche n’est pas respecté par Kurt Lotz (le remplaçant du premier à la tête de Volkswagen), avec pour conséquence une révision à la hausse du prix de la fourniture des caisses livrées à Porsche. Tout cela n’empêchera pas la 914 d’être présentée en grande pompe le 11 septembre 1969 au salon de Francfort, au moment même où la 912 quittait la scène sur la pointe des pneus.
Compacte !
Dessinée dans un style très cubique qui ne fera jamais l’unanimité et ne soulèvera aucune passion mais, au contraire, créera un vent de critiques, la carrosserie est l’œuvre du designer maison Heinrich Klie. Parmi ses atouts, on citera un toit amovible rigide en fibre de verre qui se range dans le coffre arrière et ne retire que peu d'espace pour les bagages, les formes du coffre arrière et de son capot ayant été dictées par la taille du toit.
La 914 bénéficie en fait de deux coffres généreux pour une sportive, privilège de certaines voitures électriques modernes soit dit en passant, l’antérieur ayant une contenance de 160 litres et le postérieur de 210 litres. Ensuite, ses dimensions compactes plaident pour elle : 3,98 m de long, soit seulement 4 cm de plus qu’une Toyota Yaris, 1,65 m de large et 1,23 m de haut. Enfin, on note ses phares escamotables, typiques de l’époque sur une voiture à vocation sportive. En revanche, comme le produit se voulait plus basique qu’une 911, il n’eut droit en série qu’à d’étroites jantes en acier, chaussées de maigrichons pneus 165x14.
110 ch
Sous la peau, ou plus exactement la tôle, on trouve une coque autoportante qui repose, à l’avant, sur une suspension à bras oscillants avec jambes de force et barres de torsion et, à l’arrière, sur des bras oscillants obliques combinés cette fois à des ressorts hélicoïdaux. Le freinage pour sa part est confié à quatre disques, les éléments avant étant ventilés sur la 914/6. Fournie par ZF, la direction est à crémaillère. Tous deux sont non assistés, ce qui nécessite plus de force et de vigueur pour le conducteur, mais ajoute au plaisir de pilotage et se veut par conséquent plus gratifiant.
Côté moteur, la 914/6 bénéficie du 6-cylindres à plat 2 litres alimenté par une batterie de deux carburateurs inversés à triple corps Weber. Ce bloc fournit une puissance de 110 ch à 5800 tr/min (et un couple de 157 Nm à 4200 tr/min) lui autorisant de jolies performances, avec un kilomètre départ arrêté franchi après 30,1 s, un 0 à 100 km/h avalé en 9,3 s et une vitesse maxi frisant les 200 km/h. Des chiffres qui, aujourd’hui, prêtent à sourire mais étaient tout à fait honorables en 1968. Pour info, une 911 S de 160 ch abattait le 1.000 m départ arrêté en 28,8 s et plafonnait à 223 km/h sur autoroute, territoire à vitesse illimitée en ces temps bénis. Et révolus.
Pour seconder ce propulseur, Porsche a fait le choix d’une boîte à cinq rapports, avec grille inversée plaçant la première sur le même plan que la marche arrière. Si sa synchronisation ne se discute pas, en revanche, la précision de la commande engendre des réserves. Pour tout dire, elle est simplement affreuse ! De plus, des soucis de réglages fréquents aggravent encore le problème sur certains exemplaires.
Question étagement en revanche, tout est parfait avec une vitesse maxi de 55 km/h en première, 95 km/h en deuxième, 140 km/h en troisième et 180 km/h en quatrième. À la fin des années 60, on ne se sentait pas obligé de tirer tous les rapports en longueur et de monter une démultiplication finale aux limites du supportable pour le moteur afin de grappiller quelques précieux centilitres de sans plomb susceptibles d’abaisser (sur le papier du moins !) les émissions de CO2...
Deux transats de jardin…
À bord, la 914 évoque plus par son dépouillement le buggy façon McQueen que la sportive un peu bourgeoise made in Zuffenhausen. D’abord parce que le noir y règne en maître. Ensuite parce que la qualité des matériaux et l’assemblage s’apparentent davantage à ce qui se fait chez un constructeur populaire comme l’était Volkswagen que ce qui se pratiquait à la même période chez Porsche sur la 911 et la 912. Encore parce que les sièges à appuie-tête intégré (celui du conducteur est réglable en longueur et son dossier est inclinable en trois positions alors que celui du passager est désespérément fixe, l’adaptation à la taille se faisant au moyen d’une cale derrière le repose-pieds!) rappellent davantage deux chaises longues de jardin sommairement recouvertes de skaï que deux baquets de GT.
Un dernier commentaire enfin sur la position de conduite : le décalage vers la droite du pédalier non suspendu étant propice à vous filer une scoliose sur un long trajet, nous ne pouvons que vous recommander de prendre les mesures qui s’imposent si d’aventure vous envisagiez un tour du monde à son volant...
En route…
Devant vous, plus exactement derrière le grand volant à quatre branches, l’univers Porsche... réduit ici à trois cadrans. Au centre du bloc instrumental, un gros compte-tours bien lisible, avec une zone rouge débutant à 6.300 tr/min. À sa droite, un compteur de vitesse affichant un prometteur 250 km/h... impossible à atteindre même les jours de grand vent soufflant en rafale par l’arrière. À gauche, un combiné vous tenant informé du niveau de carburant et de la température d’huile, pour la petite histoire un instrument refusé à la 914/4 et donc un indice permettant une identification rapide de la 914/6. Et à la gauche de la gauche bien sûr, l’endroit où se glisse la clé pour réveiller le « six à plat », comme sur toute Porsche qui se respecte.
Sur la route, la 914/6 a tout du gros kart relativement léger (elle avoue un poids de 940 kg seulement), la musicalité du bloc Porsche refroidi par air en prime. Dans le n°194 daté du 30 juillet 1970 de la regrettée revue Sport Moteur, Philippe Toussaint, qui rentrait déçu de son abandon aux 24 Heures de Spa suite à un problème de bourrage de boîte laissant passer de l’huile dans l’embrayage de son Opel Commodore inscrite en Groupe 2, écrivait alors à ce sujet : « Le bruit métallique qui tient à la fois de la sirène et de la turbine vous envahit littéralement. C’est la sonorité Porsche dans toute sa splendeur. Un profane criera pitié tant ce bruit est envahissant sur les intermédiaires, mais le passionné se surprendra à repasser inutilement les vitesses pour entendre encore et encore ce concert ». Il n’était pas moins dithyrambique sur le comportement routier, qu’il jugeait exceptionnel : « L’enthousiasme devient passion et la promenade se transforme en festival. L’équilibre est parfait et, grâce à la puissance du moteur, on peut s’adonner à la pratique du survirage pour s’extraire de plus en plus vite des courbes. Mais, en règle générale, la voiture affiche une neutralité que peu de conducteurs s’autorisent à dépasser tant les vitesses de passage en courbe sont élevées. En toute occasion, la 914/6 se montre particulièrement fidèle à la trajectoire. Elle se moque des ondulations, nids de poule ou autres cassis, et peut se conduire à fond sur autoroute ainsi que pour négocier les courbes rapides sans aucun souci. Sauf peut-être en cas d’un vent latéral violent où il est bon de garder les mains sur le volant ».
Prestigieuse concurrence
Quand elle est apparue, la 914/6 n’avait guère de concurrente directe. Vendue 273.000 FB, elle était chère en valeur absolue dans la mesure où une 911 T en version Targa plus performante et bénéficiant d’une même vue imprenable sur les étoiles s’affichait alors à 322.000 FB. À quoi pouvait-on bien la comparer alors? Difficile à dire. Dans le domaine des coupés, Nissan proposait sa 240 Z en échange de 219.000 FB, Alpine sa berlinette A110 1600 S contre 237.000 FB et Lotus son Elan S2 moyennant 238.000 FB. Si vous l’opposiez à un cabriolet, vous pouviez hésiter avec une Alfa Romeo 1750 Spider vendue 197.900 FB. Ce positionnement n’a évidemment pas facilité sa diffusion, d’autant plus que sa carrière fut courte : elle a disparu des catalogues Porsche au tournant du millésime 1972/73, après que 3.338 unités seulement furent produites. Une misère qui, aujourd’hui, booste sa valeur en collection. N’espérez pas en trouver un bel exemplaire, ce qui nécessite un peu de recherche et de patience, sous les 90.000 €.
Moins recherchée qu’une 911, du moins par l’acheteur lambda, la 914/6 est une voiture très désirable qui ne dénote dans aucune collection éclectique, et plus particulièrement si celle-ci accueille un Boxster, sa petite fille naturelle. Rare, elle est aussi très efficace et infiniment plus facile à conduire que les premières 911 qui réclament courage, témérité et un joli coup de volant pour être un tantinet taquinées, à défaut d’être pilotées. On pourra lui reprocher de n’être qu’une stricte deux places. Un défaut qu’elle tentera de se faire pardonner par la présence des deux grands coffres, l’arrière étant chauffé... par les calories s’échappant du moteur !
Cet article ne serait pas complet sans mentionner l’existence d’une 916, dont onze exemplaires auraient été produits en tout et pour tout. Sous le capot de cette « 914/6 très spéciale » se cachait une mécanique de 911 S 2.4 développant 190 ch (deux voitures auraient même reçu le 2.7 de 210 ch de la Carrera RS !). Seuls quelques privilégiés purent en acquérir une. Aujourd’hui, on en voit apparaître ci et là à l’occasion de l’une ou l’autre manifestation. Dans la majorité des cas, elles sont fausses mais entretiennent le mythe. Une sorte de monstre du Loch Ness indispensable pour faire naître les légendes. Et plus rare encore, une 914/8 équipée d’un 8-cylindres à plat de 3 litres développant 300 ch ! Seuls deux exemplaires furent produits, dont un pour Ferry Porsche, exemplaire qu’il a reçu pour ses 60 ans. Un beau cadeau, non !
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