Lorsqu’elle est apparue en 1955, la Citroën DS a déclassé en une fraction de seconde toutes ses concurrentes contemporaines, sans exception. Qu’il s’agisse de sa silhouette divine, de son avancée technologique, de son confort ou encore de ses qualités routières, elle surclassait, éclipsait, ses rivales d’une façon magistrale, reléguées du jour au lendemain au rang d’antiquités.
Si la DS est parvenue à se faire une place enviée dans le domaine du luxe automobile, plus par son originalité, l’audace de ses solutions techniques et sa maîtrise de la route que par la noblesse de ses matériaux et de ses mécaniques, il n’en a pas été de même pour la CX et plus encore pour la XM produite à 303.500 unités à peine en onze ans de carrière. Conscient de ses faiblesses, le constructeur en a tiré les conclusions qui s’imposent, à savoir que sa marque n’était guère plus légitime dans ce segment face aux Audi, BMW, Mercedes et autres Jaguar. Bref, qu’il valait mieux renoncer et abandonner la partie. Ce que Citroën fit en 2000 en arrêtant la fabrication de la XM sans la remplacer.
Du concept à la série
Et puis le temps est passé, les vérités d’hier n’étant pas celles d’aujourd’hui, certains chez Citroën se sont mis à rêver d’une descendante digne de la DS, un rêve nourri par le magnifique concept-car Lignage présenté lors de l’édition 1999 du salon de Genève et qui préfigurait la C6. Plus qu’un vent d’espoir, la promesse d’un succès au vu de l’accueil favorable fait à ce prototype ambitieux qui se caractérisait à l’extérieur par son imposant porte-à-faux avant, une marque de fabrique de la marque et, à l’intérieur, par l’arche aérienne traversant d’avant en arrière l’habitacle, une pièce d’architecture remarquable capable à elle seule de forger une personnalité.
Quand la C6 apparaît en 2005, curieusement, l’engouement semble s’être cependant émoussé au point qu’on en vient à se demander si le constructeur croit encore au produit. Tout se passe comme si Citroën lance la voiture sans espérer son succès, presque comme s’il était obligé de le proposer à la vente. Est-ce l’attente qui a tué le désir? Évidemment, six ans, c’est long, très long, trop long, mais n’explique pas tout. Et certainement pas pourquoi les instances dirigeantes de la marque paraissent se désintéresser à ce point de leur nouveau vaisseau amiral, pourtant intéressant à plus d’un titre même s’il porte en lui quelques défauts rédhibitoires pour affronter les poids lourds de la catégorie. À moins que leur enthousiasme et leur ferveur des débuts n’aient été rabotés par les dirigeants de Peugeot qui ne voyaient pas forcément d’un bon œil l’arrivée de cette concurrente de la 607...
Parmi les faiblesses congénitales de la C6, il y a d’abord et bien sûr l’absence d’une palette de vrais moteurs, l’offre initiale se limitant à deux V6, pas forcément les plus compétents et désirables, en l’occurrence un 3 litres à essence de 215 ch et un 2.7 turbo Diesel de 208 ch, une mécanique partagée avec la Peugeot 607 ainsi qu’avec la Jaguar S-Type qui, rapidement, a révélé un manque de fiabilité notoire. Avec ces choix, Citroën perpétue la tradition de la marque, à savoir proposer de grandes berlines animées par des mécaniques indignes de leur silhouette et, plus grave dans le cas présent, inadaptées aux exigences du marché pour ce segment réclamant d’une part, des moteurs plus économiques et abordables en entrée de gamme et, d’autre part, des unités plus nobles et plus performantes pour les versions les plus coûteuses.
De surprises en déceptions
Sous le capot, la messe semble dite d’autant plus que le catalogue des moteurs ne s’étoffera guère par la suite sinon par l’apparition d’un 4-cylindres 2.2 HDi, le 2.7 HDi évoluant pour sa part en 3.0 HDi en 2009, ce qui lui permet de gagner une trentaine de chevaux. Petite précision au passage: les V6 étaient accouplés exclusivement à une transmission automatique à six rapports, plutôt agréable, alors que la C6 2.2 HDi était livrée en boîte manuelle. La plus grande déception quand on découvre la C6 n’est cependant pas là. Pas question pour moi d’évoquer ici le style pour le moins anticonformiste de sa silhouette, étant entendu que chacun l’appréciera en fonction de ses goûts.
Cette déception, elle se dévoile à vous lorsque vous ouvrez la porte et apercevez le tableau de bord, peu valorisant. Un mobilier à ce point raté qu’il ne vous déridera même pas au moment d’apprendre que la C6 dispose d’innovations comme un affichage tête haute projeté sur le pare-brise ou encore un système d’alerte de franchissement de ligne qui vous rappelle à l’ordre en faisant vibrer le siège du conducteur. Pour ne rien arranger, la console est criblée de petits boutons à l’ergonomie discutable et recourt à un système de navigation lent et très bruyant, un système qui était déjà complètement dépassé en 2005.
Seul point positif dans cet univers peu séduisant, les couvercles de vide-poches installés dans la portière disposent d’un mécanisme à ouverture compensée, une pièce raffinée bénéficiant d’une jolie finition en bois qui, étrangement, contraste avec le reste et montre un réel souci du détail. Quant à la lunette arrière concave rappelant la CX, elle servira davantage à alimenter la prose publicitaire du constructeur qu’à convaincre tout observateur de passer l’éponge sur la manque d’inspiration de l’habillage intérieur.
Les avis du Moniteur
Dans son papier de présentation du modèle publié dans le n°1339 du 14 avril 2005 du Moniteur Automobile, le regretté Jean-Claude Letrou écrivait d’ailleurs au sujet du tableau de bord: «Assez banale, sa présentation n’est pas en accord avec le reste de la voiture. Contrairement à la C4 qui fait profiter tous ses occupants de ses prestations (NDLA: l’ensemble de son bloc instrumental était disposé de manière centrale), ici seul le conducteur est averti de la vitesse et du régime du moteur grâce à une très quelconque instrumentation numérique». Venant de l’adorable Jean-Claude et de sa légendaire gentillesse sans même parler de son chauvinisme naturel (il était français), il convenait de lire entre les lignes pour comprendre que la critique avait été adoucie, sinon édulcorée...
Heureusement pour elle, la C6 se rachetait une conduite sur la route. Elle était qualifiée de «reine de la route» (rien que ça!) par Jean-Jacques Cornaert dans le n°1351 du 29 septembre du Moniteur de la même année. Notre confrère justifiait le titre de son article par ces termes: «Sur nos routes habituelles, la C6 nous est apparue particulièrement stable, ce qui est assez normal pour une Citroën, mais aussi agile et vive dans les changements de direction, ce qui est beaucoup plus inhabituel. On se régale d’autant plus que, même sur des routes très abîmées, la précision de conduite reste impériale, tandis que le filtrage des irrégularités est de très haut niveau». Si le côté «tapis volant» ne faisait aucun doute à ses yeux, assurant à la C6 un confort digne, sinon supérieur à celui de ses devancières, en revanche, il se montrait moins emballé par le 2.7 HDi: «On se heurte à nouveau à un problème de motorisation, le V6 semblant à la peine pour entraîner la lourde C6. Un moteur qui, soit dit en passant, se révèle en retrait des productions germaniques les plus en vue». La messe est dite…
Une claque commerciale
Assemblée à Rennes, la C6 devait se vendre à 30.000 unités par an: c’était en tout cas l’objectif initial modeste visé par Citroën (dix fois moins que ce que Mercedes réalisait avec sa Classe E!). Lorsque le couperet est tombé et que sa production a cessé en 2012, le bilan faisait tristement état de 23.384 exemplaires vendus au total, avec un pic de 7.600 unités commercialisées en 2007! On était à des années-lumière des prévisions les plus pessimistes, et l’opération s’avéra autant un gouffre financier qu’un camouflet pour l’entreprise, doublé d’une sérieuse claque pour le moral des décideurs.
S’il fallait résumer l’originalité du concept de la DS originelle en trois lignes, ce serait: primo, une ligne non conventionnelle et jamais copiée; secundo, un confort très moelleux hors norme assuré en grande partie par sa suspension hydropneumatique; tertio, une méga-assistance (sur-assistance?) de ses commandes dynamiques, principalement son freinage et sa direction. Ces trois caractéristiques, la dernière grande Citroën à les avoir respectées à la lettre fut la C6. Par conséquent, la déesse du bitume qu’elle fut doit être considérée, respectée et honorée comme le dernier maillon de la saga des authentiques DS. Boudée durant sa carrière, elle mérite qu’on la réhabilite aujourd’hui non seulement pour ses qualités routières remarquables mais aussi pour l’audace de son originalité, même si certains persistent à la juger trop baroque.
Elle est enfin une Citroën historique dans la mesure où elle fut la dernière à bénéficier de la merveilleuse suspension hydropneumatique, abandonnée aujourd’hui. Et devinez quoi? Succomber à ses charmes ne vous ruinera même pas, les C6 se négociant pour une poignée de cerises. En supposant que vous restiez hermétiques à ses indéniables qualités, elle reste recommandable dans l’optique d’un investissement automobile pourvu que vous ayez la place pour l’entreposer et la patience d’attendre le bon jour, celui qui verra passer la C6 du statut de voiture d’occasion au rang de véhicule de collection. Voire d’icône?
Texte : Stany Meurer
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