C’est peu avant l’inauguration de l’exposition «Driven By Dreams» retraçant les 75 ans de Porsche (à Autoworld, du 8 décembre au 25 février) que nous avons eu l’occasion de bavarder de manière informelle avec cette légende qu’est Jacky Ickx. Il nous a parlé de Porsche, bien sûr, du Dakar évidemment, un peu du Mans mais surtout… de la vie et de sa passion pour l’Afrique.
- Jacky, Porsche c’est une grand chapitre de ta carrière…
Oui, Porsche occupe une place fatalement importante puisqu’on a roulé 10 ans ensemble, mais je ne suis que le miroir de leurs résultats, car derrière le miroir il y a des tas de gens formidables et incroyablement compétents, passionnés. Je suis, parait-il, celui qui a gagné le plus, je suis le détenteur du record du nombre de victoires en courses d’endurance. Quand je regarde en arrière je me dis que ce n’est pas moche… Même si je me classe dans la catégorie des dinosaures, d’abord parce que je suis un survivant. Je suis un de ceux qui a roulé le plus longtemps au plus haut niveau sans me faire mal.
- Tu t’es aussi illustré dans des disciplines très multiples…
Oui, c’est vrai mais c’était la norme à mon époque. Pourquoi ? Parce que les notions d’exclusivité et de sponsoring n’étaient pas présentes. Dans cette communauté de pilotes de l’époque, nous pouvions tous faire des courses de voitures de tourisme, de la F2, de la F1, de l’endurance… J’ai un petit avantage sur les autres car j’ai commencé avec la moto et la moto m’a donné par la suite un sens de l’équilibre, de la sensibilité surtout par mauvais temps que mes concurrents n’avaient peut-être pas tous. On était des mercenaires, mais l’argent n’était pas le moteur de la motivation, c’était la passion.
- Pour aborder tes années Dakar, si on regarde ton palmarès, tu as fait venir Porsche, ce qui était quand même assez inattendu à l’époque, mais tu as aussi roulé avec des voitures, disons bizarres : Citroën CX, Lada Niva, Mercedes G. Est-ce qu’il y a un fil rouge à toutes ces participations ?
Le Dakar, c’est quelque chose de très particulier. Ce n’est pas seulement la plus difficile et la plus longue course. Parallèlement au défi sportif que représentent des étapes de 400, 500, voire 800 km pendant 3 semaines, voire une étape marathon de 2300 km, et parfois de nuit, un Dakar vous remet surtout les idées en place. Il faut beaucoup d’expérience pour y arriver. Le projet Porsche au Dakar n’aurait pas existé si je ne l’avais pas fait avant. Ce projet n’a existé que parce que j’ai gagné avec la Mercedes (en 1983, ndlr).
- Et comment Porsche est arrivé sur le Dakar ?
C’est moi qui suis allé présenter cette idée chez Porsche qui a été acceptée par des gens qui ont misé sur un pari fou, à savoir faire du tout terrain avec une voiture de sport ! Un groupe de gens merveilleux a embrayé sur une idée insensée sans rien connaitre de la discipline avec une voiture existante, la 911 du Safari qui est une deux roues motrices. Quand j’ai vu cette voiture faire des essais en février 83, je me suis dit que c’était la voiture qui pouvait y aller. À cette époque, une deux roues motrices pouvait encore gagner un Dakar. Mais en même temps, Porsche développait une boite de vitesses et une transmission intégrale pour Audi et cette technologie a en fait été adaptée à la Porsche du Dakar. L’idée d’en faire une 4x4 était née. Ce qui est le plus étonnant dans cette histoire c’est qu’en partant d’un projet fou, Porsche a gagné deux fois le Dakar.
- À l’époque la structure chargée de ce projet était très petite…
Oui, l’équipe c’est Helmuth Bott, le patron et le père de la transmission intégrale chez Porsche, Roland Kussmaul l’ingénieur qui dessine la voiture et moi qui leur explique comment fonctionne un Dakar. On prend la 911 de M. Bott, et on part en essai en Algérie, ça commence comme ça. Mais il faut savoir que Porsche n’engage pas directement les voitures au Dakar, la marque les produit mais c’est moi qui les engage. Je trouve les sponsors, je loue les camions d’assistance, etc. et c’est donc le «Team Jacky Ickx» qui engage les voitures au Dakar 1984. Pas Porsche.
- Pourtant, tu ne gagnes pas le Dakar avec Porsche…
L’artisan du succès, c’est en effet René Metge, que j’ai engagé. C’est moi qui choisissais les pilotes. Et j’ai estimé que René nous offrait le plus de chances possibles vu son expérience. Il a gagné deux fois sur trois. Je ne m’étais pas trompé sur lui… Chapeau. Dans mon rôle de manager de l’équipe, j’ai privilégié l’intérêt commun, pas le mien. Ce n’est pas que je n’avais pas envie de gagner, mais peut-être que je n’ai pas été à la hauteur pour le faire. Le Dakar demande une expérience énorme. Regardez Loeb, 9 fois champion du monde des rallyes, un pilote exceptionnel. Eh bien, sur un Dakar, sa plus grande difficulté, c’est de ne pas se faire surprendre. Il n’est pas encore arrivé à le gagner ce Dakar, il fait souvent de petites erreurs par inexpérience.
- Est-ce que tu dirais qu’en tant que pilote, tu éprouvais les mêmes sensations à 350 km/h dans les Hunaudières qu’à 200 km/h dans les dunes ?
Vous savez, René Metge a fait dans le désert, avec sa voiture, des pointes à 230 km/h. Je me suis arrêté à 210, car je pensais qu’au-delà, ça devenait scabreux. Dans le désert, il faut pouvoir s’arrêter face à quelque chose qu’on n’aurait éventuellement pas aperçu. Au Mans, on cherche à tout moment la limite, on monte progressivement le rythme mais si on sait qu’une courbe passe à fond, on le fait une fois, puis deux puis ça devient naturel. Dans le désert, la part d’imprévu est nettement plus grande, vous ne savez jamais précisément ce qui se cache derrière une dune. Ce n’est pas la vitesse qui compte. Une 962, ça pouvait faire 380 km/h. Une fois qu’on l’a fait, comme je le disais, ça devient naturel au point qu’on avait envie de dire aux ingénieurs de nous donner 50 ch de plus. Ce n’était pas un problème. La base c’est l’envie de gagner, c’est là que se trouve l’adrénaline.
- C’est un peu étonnant parce que tu arrives avec ce projet Porsche au Dakar à une période où Porsche ne va pas bien du tout…
D’abord, je l’ai dit, c’était un pari. Personne n’avait jamais transformé une sportive de route en un engin capable de gagner un Dakar. Quand on a gagné, on nous a dit qu’on était une équipe d’usine et que Porsche, avec ses moyens avait un peu tué l’esprit Dakar. Mais en réalité, les budgets étaient ridicules. C’est quoi une équipe d’usine à l’époque ? Trois voitures de course, donc 6 personnes, deux MAN 6x6 d’assistance avec chacun 3 personnes à bord et 6 personnes dans l’avion, dont Peter Falk, le directeur sportif de l’époque. Globalement, on est 18 personnes en tout ! C’est très amateur par rapport à ce qui se fait aujourd’hui où on compte en centaine de personnes. Ce pari est devenu iconique parce que ça n’a jamais été reproduit depuis et ça ne le sera plus jamais.
- Est-ce que tu dirais que c’est le Dakar qui t'apporté ce recul sur les gens, le monde… ?
Ah oui ! Absolument. C’est dans le désert que vous apprenez qui vous êtes, que vous découvrez qui vous êtes. Dans le désert, impossible de tricher. On est face à soi-même et on se rend compte qu’on n’est pas grand-chose en fait. On ne fait que passer sur cette Terre. On ne possède rien, on apprend et on transmet. C’est tout.
Photos : Benjamin Brolet
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