Pour connaître les origines de la Sports 800, il faut remonter à l'été 1961. C'est à cette époque que Toyota lance la Publica, une petite citadine dont le nom de code est « UP10 ». Une voiture qui existait en deux portes, en break trois portes, en cabriolet et même en pick-up. Pour mettre cette gamme en valeur, Toyota a commencé par un concept car : le Publica Sports Concept, qui a fait ses débuts au Salon de Tokyo 1962.
Dévoilé lors de l’édition 1962 du Salon de Tokyo, celui-ci reprenait le petit moteur bicylindre refroidi par air de 700 cm3 de 28 ch de la Publica sous une carrosserie plus fine et plus sportive, dont la spécificité était d’être coiffée par une sorte de bulle coulissante donnant accès à l’habitacle.
Comme sur une Mercedes 300 SL Gullwing, il fallait enjamber les flancs pour se glisser à l’intérieur. Cette configuration étonnante était l’œuvre de Tatsuo Hasegawa, qui avait été pendant la guerre ingénieur aéronautique. Ceci explique cela. Au passage, remarquons que ce système d’ouverture n’est sans évoquer celui adopté par l’Aero X de Saab présenté au salon de Genève en 2006. Quant au dessin de la silhouette, il sortait des crayons de Shozo Sato, un designer ex-Datsun fraîchement recruté par Toyota.
Les rêves sont trompeurs
Alors qu’elle avait été imaginée comme un simple objet voué au rêve et non destiné à être produit, contre toute attente, la Publica Sports Concept allait accoucher d’une version de production sous la forme du coupé Sports 800 en 1965, mieux connu sous le nom de «Yota Hachi» (Toyota Eight) au Japon. Une décision qui résultait de plusieurs événements concomitants ne pouvant laisser Toyota indifférent.
Tout d’abord, il y eut l’accueil enthousiaste du public lors de la présentation en 1962 du concept Honda S360 qui allait donner vie à la S500. Ensuite, la mise en production en fin de cette même année du roadster SP310 de Datsun, mieux connu sous le nom de Fairlady 1500. Enfin, l’existence même du spider Daihatsu Compagno. Tous ces lancements auront finalement décidé Toyota à réagir.
Pour passer du stade du projet à celui d’engin commercialisable, le design fut modifié afin de permettre son industrialisation: l’ensemble coulissant donnant accès à l’habitacle passa à la trappe, remplacé par des portes classiques sans encadrement de vitre, surmontées par un élément amovible unique coincé entre le bord supérieur du pare-brise et une sorte d’arceau central.
Ainsi, bien avant que Porsche n’en équipe ses 912 et 911 à l’automne 1966, mais après ce que le génial Michelotti avait imaginé pour son coupé Fiat 1200 Wonderful en 1957 (réalisé ensuite par Vignale) et ce que Triumph proposait dès 1961 pour sa TR4 sous le nom de Surrey Top.
Light is right
Si le reste de la silhouette s’avérait nettement plus conventionnel, la calandre bordée par deux phares ronds préfigurait le dessin de la proue de la 2000 GT. Sous le capot en revanche, point de mécanique noble made in Yamaha comme sur cette dernière. Mais le plus modeste tournebroche bicylindre boxer refroidi par air de la Publica, affichant pour la circonstance 800 cm3 et retravaillé pour garantir 45 ch aux roues arrière.
Une puissance faible certes dans l’absolu, mais qui, rapportée au poids de 580 kg à peine que pesait la Sports 800, suffisait pour assurer un agrément de conduite et pouvoir rivaliser, dans une certaine mesure, avec la Honda S800. En effet, si cette dernière était nettement plus puissante grâce à son 4-cylindres plus élaboré, elle ne lui rendait pas loin de 200 kg sur la bascule. On remarquera au passage que, bien avant les accords le liant à Lotus, Toyota faisait ainsi sienne la philosophie du «light is right» chère à Colin Chapman.
Pour atteindre ce poids contenu, rendu aussi possible par l’adoption d’un moteur refroidi par air se passant d’un circuit d’eau et donc de radiateur, la Sports 800 avait recours à des tôles fines pour sa carrosserie et faisait un usage abondant d’alu, notamment pour son capot et son couvercle de coffre ainsi que pour la structure de ses sièges.
Le recours à ce matériau léger n’était pas sans conséquence. Son emploi était en effet non seulement plus coûteux que celui de l’acier, mais interdisait aussi l’assemblage sur les chaînes classiques. Par conséquent, la Sports 800 fut construite chez un sous-traitant, Kanto Auto Works, dans son usine de Yokosuka située dans la préfecture de Kanagawa.
Fans américains
Elle ne fut donc jamais fabriquée à des cadences massives, comme le confirment les 3131 exemplaires produits entre avril 1965 et octobre 1969. On notera d’ailleurs qu’après une première année encourageante où 1235 exemplaires trouvèrent un acheteur, les années suivantes furent décevantes: 703 unités en 1966, 538 en 1967, 440 en 1968 et seulement 215 en 1969! Aussi, Toyota, concentré sur d’autres priorités comme celle de développer massivement ses ventes à l’exportation, jeta l’éponge rapidement.
Vendues exclusivement au Japon, les Sports 800 furent majoritairement des conduites à droite. Mais 300 unités environ ont toutefois reçu le volant à gauche pour des raisons historiques. En effet, dès 1945, à l’issue de la guerre du Pacifique, l’archipel Ryukyu fut placé sous administration militaire américaine, dont le siège se trouvait dans la plus grande île de l’archipel, Okinawa.
De nombreuses bases militaires américaines y furent implantées, et par souci de facilité, les USA y établirent leurs propres règles de circulation: contrairement au reste du territoire japonais, on y roulait à droite. Pour répondre à la demande spécifique de la région, Toyota produisit donc 300 exemplaires avec le volant «du bon côté».
Cette décision eut une autre conséquence plus inattendue: les militaires américains basés sur ces îles qui eurent la chance conduire ou de posséder une Sports 800 se prirent de passion pour elle et, de retour au pays, créèrent des clubs très actifs dédiés à ce modèle inconnu aux States.
Petit charmeur
Dans la rue, la Sports 800 reposant sur ses jantes Cosmic chaussées de Falken 155/70-12 apparaît minuscule. Ce qu’elle est d’ailleurs: 3,58 m de long, 1,46 m de large et 1,17 m de haut, pour un empattement de 2 m.
À titre de comparaison, une Honda S800, plus compacte encore, avouait respectivement 3,33 m, 1,40 m et 1,22 m, l’empattement étant identique. Et une Austin Healey Sprite et sa cousine MG Midget dans leur forme originelle s’étiraient sur 3,50 m de long, 1,35 m de large et 1,26 m de haut, l’empattement dépassant de 3 cm celui des deux nipponnes. Comme on peut le constater, la Toyota n’est pas la plus mal lotie… Mais elle ne permettra pas d’accueillir toute personne d’un mètre quatre-vingts ou plus, et encore moins un individu «enrobé», en dépit du cintrage des vitres latérales, une rareté sur un véhicule de cette décennie.
Démonter le toit est une opération simple, manipuler l’élément démonté l’est tout autant grâce à sa légèreté et le ranger dans le coffre se fera en un clin d’œil. L’accessibilité au groupe propulseur se fait via le capot ouvrant contre le vent. On découvre alors un moteur monté en porte-à-faux avant qui n’est pas sans rappeler visuellement celui d’une Citroën 2 CV.
Il est monté dans le prolongement de la boîte mécanique à quatre rapports synchronisés (à partir de 1967, avant ce millésime, seuls les trois rapports supérieurs l’étaient) et surmonté des deux carburateurs simple corps Seiken d’origine japonaise. Outre la présence d’un alternateur, la chose la plus remarquable est celle d’un chauffage indépendant à essence Denso. Invisible depuis l’extérieur, le vilebrequin n’est ici pas monté sur paliers, mais sur roulements, une technique héritée du monde de la moto.
Acrobaties
Si s’installer à bord pour le passager ne requiert aucun effort particulier et que la place qui lui est dévolue est suffisante à défaut d’être généreuse, il n’en va pas exactement de même pour le conducteur. Il devra en effet composer avec une accessibilité entravée d’abord par le volant, mais surtout par le bord inférieur du tableau de bord gênant le passage des jambes. Cette installation à bord délicate réalisée, le conducteur se trouve face à un bloc instrumental particulièrement complet enchâssé dans une façade en alu.
De gauche à droite, il pourra surveiller le régime du moteur dans le compte-tours (où la zone rouge commence à 5400 tr/min), veiller à la pression et à la température d’huile affichées dans un second compteur, vérifier sa vitesse dans le troisième (qui comprend de surcroît un compteur journalier), ou encore s’assurer, grâce à un quatrième, de la charge de la batterie et du niveau de carburant contenu dans le petit réservoir de 30 litres. Bien que cela ne soit pas d’origine, la prise allume-cigare permettra le cas échéant de brancher un GPS ou tout autre appareil de la vie moderne.
La mise en marche ne déroutera personne dans la mesure où il suffit de tourner la clé de contact, dont le barillet est positionné à gauche de la colonne de direction (comme dans une Porsche). En revanche, la sonorité du moteur, plus exactement le «pan-pan» du bicylindre boxer refroidi par air, surprendra tout utilisateur, y compris le plus habitué de ce type de mécanique… qui n’imagine pas en trouver une sous le capot de ce petit coupé nippon. Pour l’anecdote, outre le fait d’avoir motorisé la Publica, Toyota utilisait ce groupe compact et léger comme compresseur pour alimenter le système d’air conditionné de ses bus.
Autre sujet d’étonnement; le pédalier décalé vers la droite et auquel il manque un pose-pied pour la chaussure gauche. Mais on s’en accommode, préférant apprécier le guidage de la boîte et la relative efficacité du freinage non assisté, confié à quatre tambours. La direction, elle aussi, dépourvue d’assistance, se révèle agréable à l’usage quoiqu’imprécise.
Un comportement à la hauteur
Quant au comportement routier, avec un train avant combinant des doubles triangles superposés à l’avant et une barre antiroulis, un essieu rigide porté par des lames, des amortisseurs hydrauliques et surtout une excellente répartition des masses (53/47%) ainsi qu’un centre de gravité bas grâce au concept même du moteur fait de deux cylindres à plat, le châssis assure en se montrant agile, bien aidé en outre par le poids réduit de la Toyota Sports 800, qui vire parfaitement à plat.
Il reste à évoquer les performances. Avec 45 ch sous le pied, on ne peut pas s’attendre au grand frisson, même si la Toyota Sports 800 vous emmènera à près de 155 km/h. Elle vous décoiffera par conséquent davantage au propre, grâce à son toit amovible, qu’au figuré par des chronos d’enfer. Cela dit, l’engin n’a jamais eu cette vocation et il est illusoire à son volant de vouloir s’attaquer à une S800, certes plus lourde, mais autrement musclée.
Cependant, la carrière sportive de la Toyota Sports 800 ne fut pas ridicule. Dans les rares épreuves dans lesquelles elle a été engagée, la qualité de son châssis faisait merveille, tandis que la sobriété de son moteur lui permettait de ravitailler moins souvent que ses concurrentes dans les épreuves de longue haleine. Il se raconte qu’en usage normal, une Toyota Sports 800 se contente de brûler moins de 4 l/100 km, ce qui est remarquable.
Si Honda n’a eu de cesse de persévérer dans la voie définie par la famille des «S-cars», Toyota s’est rapidement désintéressé des Sports 800 et 2000 GT, préférant inonder la planète de ses Corolla, Carina, Corona, Cressida, Camry, Crown et autres modèles plus grand public et donc lucratifs et qui séduisaient davantage par leur facilité d’utilisation, leur robustesse et leur fiabilité que par la passion. Ce n’est en effet que bien plus tard que le constructeur s’est engouffré dans la brèche des hybrides innovants qui lui valent aujourd’hui une renommée internationale, après s’être engagé progressivement, mais avec une certaine réussite (sauf en F1) dans toutes les disciplines sportives automobiles où la marque brille actuellement, que ce soit en WRC ou en WEC. Avec de nombreux titres à la clé.
La version complète de cet essai rétro, écrit par Stany Meurer et illustré avec les photos de Jonathan Godin, est parue dans le Moniteur Automobile 1818 (Octobre 2024)
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